Le repas est éminemment constitutif de la culture française et judéo-chrétienne. Inutile que je rappelle la cène inaugurale de cette longue histoire, où le fils de Dieu devient consommable (« ceci est ma chair, ceci est mon sang »).
Depuis lors, l’ensemble de notre culture est marquée par l’ingestion : repas d’amis, de famille, d’affaires, de fête, de mariage, d’enterrement, de baptême, de naissance ; le repas marque tous les rites culturels qui sont le fondement de notre société. Une société devenue hyper-consommatrice, consumériste, à telle enseigne que la lutte contre l’obésité a remplacé la lutte contre la famine au rang des priorités de la santé publique. C’est à dire que dans le même temps que les ventres et les assiettes se remplissaient, le moyen devenait une fin, et la nourriture-énergie devenait une nourriture en soi, la consommation un mode de vie. Dès lors, plus rien à dire de consistant au-dessus des assiettes autre que de discuter de leur contenu.
Mon travail a consisté à vider les assiettes, pour imaginer ce qui ressortirait de ces conversations déjeunatoires, de ces rites ponctués par le repas, en partant de leur origine (la cène) jusqu’à des scènes très actuelles de vie quotidiennes. Intitulée ironiquement à couverts, la série dépasse le seul champ de la nourriture pour aborder tout ce qui est ingérable : anxiolytiques, philosophie, vaccins, sms, conversations, silence. Pour dire le vide au- dessus de repas trop riches, je vide les assiettes.
Pour inaugurer ce travail, j’ai réalisé une série de clichés de moi-même reprenant le code adopté par chaque toile de la série : fond damier noir et blanc et table rouge, comme si réfléchissant moi-même sur le sujet je ne trouvais rien d’autre à en dire que de me mettre en situation en train d’y réfléchir. Une mise en abîme qui dit l’impossible de dépasser sa propre culture. Je suis moi-même le produit d’une assiette vide.
